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04/14

Jean-Hugues Anglade : interview

8:55 par Thierry. Filed under: Bons plans

Une fin d’après-midi printanière, un grand hôtel près des Champs-Elysées. Jean-Hugues AngladeJean-Hugues Anglade arrive au rendez-vous à l’heure pile et à la minute près. Prêt pour le rituel du questions-réponses auquel il se plie, la voix sourde et le regard toujours sur la brèche, jamais fuyant. La règle du jeu est simple : l’interviewer doit, en moins d’une heure, briser l’habituelle glace d’usage et remonter le cours d’un parcours professionnel sans faute. Et ça tombe bien, parce que la vie et les films de l’interviewé n’a rien d’un fleuve tranquille. Marin d’eau douce, Jean-Hugues surfe entre des vagues à l’âme et traverse ses océans en solitaire. Entre deux escales, il s’amuse à se fondre dans le paysage avant de replonger, tête baissée et cœur en apnée. Cap sur Beineix, Besson, Deray ou Deville, autant de directions dont il émerge quasiment intact, jamais à bout de souffle.
Trois des films où vous jouez (e Nikita » «Subway», «37°2») sont classés parmi les plus gros succès de ces dix dernières années. Paradoxalement, vous êtes une des têtes d’affiche que l’on connaît le moins. …
Et ce n’est pas pour me déplaire. Je ne tiens pas à raconter, dans la presse, autre chose que ce que je dévoile de ma personnalité à travers mes rôles. Je suis d’accord pour parler d’un film où j’apparais et du personnage que j’y joue, pas pour dévoiler des choses qui me touchent intimement.
Dans ce cas, quelle est votre réaction quand vous tombez sur des revues où d’autres comédiens se racontent «en exclusivité»? Passez-vous immédiatement à l’article suivant?
Je tourne la page, ça ne m’intéresse pas. Le travail des journalistes me passionne lorsque ces derniers consacrent des articles de fond sur un film ou le travail d’un comédien. Pas lorsqu’ils essaient d’aller au-delà ou qu’ils tentent de franchir certaines limites. Ils se transforment alors en paparazzi et perdent leur crédibilité. Les paparazzi de la plume m’effraient autant que ceux de l’objectif.
Jean-Hugues AngladeTrois adjectifs reviennent souvent sous la plume des journalistes lorsqu’ils vous décrivent : solitaire, physique, écorché vif. Vous correspondent-ils?
Oui, pour les deux premiers. Le terme d’« écorché vif» correspond davantage aux personnages que j’ai incarnés. Si je n’avais joué que des comédies, on m’aurait traité de rigolo. Comme j’ai surtout tourné des histoires graves, voire tragiques, il est plus facile de m’apposer l’étiquette d’écorché vif…
Je reviens sur la notion de solitaire. C’est ainsi que vous menez votre carrière : votre agent ne s’occupe que de vous, vous n’appartenez à aucune famille de cinéma, vous n’êtes pas entouré par une douzaine de copains…
J’aime bien les rapports exclusifs et de qualité, aussi bien en amour, en amitié ou en affaires. Quitte à n’avoir que très peu de personnes autour de moi, j’essaie de m’entourer de gens qui ont de l’énergie et du temps à me donner. Autrement, on tombe dans le superficiel, ce que je veux éviter à tout prix.
Jean-Hugues AngladeVous avez travaillé avec Jean-Jacques Beineix et Luc Besson, deux des réalisateurs les plus représentatifs et les plus controversés de leur génération. Comment expliquez-vous leurs difficultés respectives avec la presse et leur façon de les assumer?
Cette incompréhension n’est pas spécifique à Besson ou Beineix. Elle remonte à plusieurs générations et touche surtout les créateurs à forte personnalité. Ceux-ci ont forcément affaire à des détracteurs qui prennent leur contre-pied. Soit parce qu’ils ne partagent pas leur univers, soit parce qu’ils veulent les acculer à s’expliquer sur leur œuvre, leur travail ou leurs envies. Certains créateurs, comme Besson, le vivent relativement bien, d’autres moins, comme Beineix, plus rancunier. La presse, et plus particulièrement la critique, est tellement partie prenante dans le milieu du cinéma qu’il est difficile de n’entretenir que de bonnes relations avec elle. Les rapports passionnels sont forcément de la partie. D’où certains heurts et quiproquos. Mais il ne faut pas généraliser : j’ai lu de très bons papiers sur «Nikita » ou « 37°2 », par exemple. Ce qui importe finalement, c’est que le public pour qui nous tournons ces -films y trouve (ou n’y trouve pas) son compte. Le reste n’est que querelles de chapelles.
Puisque nous évoquons le public et sa façon de réagir, vous avez bénéficié, pour votre composition dans « 37°2 », d’une formidable cote d’amour qui ne s’est pas démentie depuis. Après un reportage qu’il vous avait consacré en janvier dernier, un mensuel a publié certaines des lettres suscitées par ledit article. Un des lecteurs y adressait une lettre destinée à Zorg (nom de votre personnage dans «37°2») et non à Jean-Hugues Anglade. Cet amalgame vous gêne-t-il ou vous fait-il plaisir?
Jean-Hugues AngladeJ’ai ressenti la missive que vous évoquez comme une façon poétique de m’écrire une lettre. Les spectateurs ont sans doute somatisé sur «37°2» et ses héros. Ce film a surtout touché la jeune génération qui n’a peut-être pas envie de sortir de. son fantasme. Du moins jusqu’à ce qu’elle découvre un autre long métrage qui suscitera les mêmes réactions. En tout cas, je suis heureux de constater que quatre ans après, le prénom de mon personnage est toujours dans la tête des jeunes. Je reçois ces réactions comme autant de messages de sympathie. Ça ne me dérange pas, même si j’ai parfois envie de dire aux gens que, depuis, j’ai joué dans d’autres films et tenu d’autres rôles.
Après «37°2», vous avez également failli tourner d’autres films et jouer d’autres rôles. Notamment aux Etats-Unis, aux côtés de Madonna qui avait adoré le film de Beineix. Vous vous êtes rendu à Los Angeles, rencontré la star (ainsi que d’autres producteurs et réalisateurs), étudié leurs propositions avant de retourner en France. Comment jugez-vous l’expérience avec le recul?
J’ai passé un certain temps là-bas, appris la langue (ce qui m’a servi plus tard pour le tournage de «Nocturne indien»), effectué des rencontres enrichissantes. Professionnellement, les choses se sont mises en place plus difficilement. A part quelques exceptions, un Européen a du mal à s’imposer sur le marché américain, même s’il a toutes les cartes en main. Pour ma part, je ne considère pas cet épisode comme terminé…
Une carrière dite «américaine» est-elle vraiment une figure imposée dans la carrière de tout acteur? C’est du pipeau, tout ça… (rires). Ma priorité est de tourner aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs avec de jeunes réalisateurs dans des films faits avec la même passion que «Subway» ou «37°2». Je n’ai aucune envie de jouer un troisième rôle dans une production avec Bette Midler, uniquement pour assouvir un vieux fantasme! L’Europe m’intéresse tout autant, et même davantage, vu tout ce qui s’y est déroulé récemment. Les événements auxquels on a assisté ces derniers mois auront sûrement des retombées bénéfiques sur le plan créatif. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que de grands metteurs en scène, comme Woody Allen, expriment l’envie de tourner en Europe…
Vous citez là celui que ses compatriotes considèrent comme le « plus européen » de leurs réalisateurs. D’ailleurs, le fossé s’élargit de plus en plus entre la profession et lui dans son pays. Je ne suis pas sûr que les metteurs en scène qui cartonnent au box-office des States en ce moment partagent la même envie que lui.
Ce ne sont pas forcément ceux avec qui j’ai envie de tourner. Je suis fermement convaincu que l’Europe n’a pas dit son dernier mot à ce sujet. Des hommes comme Bertolucci, Skolimovski ou Konchalovsky vont sûrement avoir envie de filmer en Europe où se trouvent leurs racines.
Jean-Hugues AngladeQuittons les Etats-Unis et l’Europe. Cap sur l’Inde où vous tourniez, Tannée dernière, «Nocturne indien» sous la direction d’Alain Corneau. Quelle idée aviez-vous de ce pays avant et après que vous n’y tourniez ce film?
Je n’ai aucune idée préconçue sur les pays que je visite, ni avant ni après mon passage. Avant, je reste dans l’expectative et après, je n’arrive pas à en tirer un bilan. Là est peut-être mon problème, car il serait plus simple de pouvoir clarifier ses sentiments avant, pendant et après. Dès mon arrivée, j’ai été très impressionné par le mysticisme de l’Inde et par le fait que ses habitants vivent sur un modèle totalement différent de celui en vigueur en Occident. Le héros de «Nocturne indien» remet en question toutes ses valeurs occidentales sur l’existence et la spiritualité. Ça cadrait bien avec le choc affectif que j’ai éprouvé en débarquant sur place. Aujourd’hui, plus d’un an après, je me souviens du tournage comme une expérience qui m’a enrichi professionnellement et qui m’a donné plus de lucidité sur les choses et les gens en général. (Une longue pause, puis 🙂 «Nocturne indien» a exacerbé des choses en moi. Dans un sens positif, heureusement.
Lors de la sortie de ce film, vous avez souvent évoqué l’angoisse qui s’est emparée de vous sur place. Vous parliez d’une « insécurité terrible», du mal que vous aviez à vous rendre sur le plateau. Cette peur était-elle liée au pays ou au film ?
Au deux. Les valises étaient lourdes à porter… (rires). Toutes les conditions étaient réunies pour me filer le vertige. L’Inde est un pays qui agit insidieusement. La trame du film y est pour beaucoup aussi : le personnage que j’interprète se remet en question. Il est à la recherche de son identité et évolue dans une ambiance tendue. Il est évident que ce contexte a beaucoup joué dans le fait que je me sois senti en décalage là-bas. Jouer en anglais a également demandé beaucoup de vigilance de ma part. Ça a été une pression de plus, mais je ne l’ai pas ressenti comme un problème insurmontable.
Votre composition dans « Nocturne indien » vous a valu, cette année et pour la quatrième fois, d’être nominé aux Césars. Pourtant, vous n’étiez pas dans la salle le soir de la cérémonie. Refus des Césars ou simple indisponibilité?
J’ai passé la soirée avec Eric Clapton. Je vous assure que j’étais plus heureux que si j’avais assisté aux Césars et que j’en étais reparti les mains vides! De toute façon, je n’arrive plus à croire à ces choses-là. D’ailleurs, de moins en moins de gens y croient…
Les Césars semblent bizarrement souffrir d’un manque de crédibilité dans la profession, ce qui n’est pas le cas, aux USA, avec lés Oscars…
C’est surtout une question de mentalité. Nous avons une mentalité latine, nous sommes raleurs et remettons facilement les choses en question. Très peu d’acteurs américains ont cette attitude vis-à-vis des Oscars. Ils sont animés par un esprit de compétition, ça fait partie de leurs mœurs. La majorité des comédiens et réalisateurs français doutent, eux, de l’utilité des Césars. Etre le meilleur, qu’est-ce que ça veut dire? Meilleur que qui, par rapport à quoi? En fait, les Césars font surtout la joie des producteurs des films primés.
Jean-Hugues AngladeLes Césars de l’an prochain inscriront sans doute à leur tableau d’honneur «Nuit d’été en ville», le nouveau film de Michel Deville dont vous .êtes le héros, aux côtés de Marie Trintignant, et que vous avez fini de tourner en février.
J’ai la conviction d’avoir participé au tournage d’un très beau film qui se situe à part dans la filmographie de chacun des participants. «Nuit d’été en ville» dépeint la façon dont deux personnes qui se rencontrent pour la première fois peuvent s’appréhender. Un récit situé entre minuit et 5 heures du matin, sur l’intimité, mais vécue de façon légère, sans pathos ni tragique, avec une alternance de moments drôles puis graves. C’est un film frais et léger, qui se boit comme une tasse de thé. Je l’ai déjà vu trois fois et je ne suis pas près de m’en lasser…

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04/14

Meryl Streep plus oscar que carrosse

6:53 par Thierry. Filed under: Divers sujets

Meryl StreepUne brève apparition dans « Voyage au bout de l’enfer» en 1978, un second rôle dans « Manhattan » puis «Kramer contre Kramer » en 1979, rien ne laisse pour le moment présager de sa gloire future. Son visage plutôt ingrat et son look mamie avant l’heure dissimulent des qualités exceptionnelles de comédienne. Spécialiste des rôles de composition longuement peaufinés avant chaque tournage, Meryl Streep gravit, lentement mais sûrement, les échelons de la gloire. «La mort aux enchères » (1982), « Le choix de Sophie» (1982), « Le mystère Silkwood » (1983), un palmarès prestigieux qui n’en finit plus. Imperturbable «rafleuse» d’Oscars, elle se compromet toutefois dans quelques semi-ratages (« Plenty», «Falling in love», «La brûlure»), vite enterrés par de nouveaux exploits (« Out of Africa » en 1985). Dans « lronweed », le face-à-face Streep-Nicholson en poivrots exubérants frise le cabotinage (voir sujet dans Vidéo 7 n° 71 d’octobre 1987). En 1989, «Un cri dans la nuit » enrichit sa collection d’une palme flamboyante (Prix d’interprétation féminine) à Cannes (voir sujet dans Vidéo 7 n° 89 de mai 1989). La routine ! Soucieuse de briser la monotonie, IVIeryl se tourne vers la comédie («She-devil » actuellement dans les salles, voir Vidéo 7 n° 98 de mars 1990) avec un personnage plus glamour, sinon sexy. A quand le «Streep-tease »?